Carta
à José Joaquín Palma ou la position esthétique de José Martí en exil
Brahiman
Saganogo
Centro de
Investigaciones Filológicas
Universidad de
Guadalajara
Résumé:
Notre travail prétend être l´analyse d´une des lettres littéraires de l´écrivain
cubain José Martí, adressée à son compatriote José Joaquín Palma en exil. À travers
un déchiffrement un peu subjectif, de ladite lettre, nous y découvrons et les intentions
esthétiques de Martí énonciateur, qui y sont exprimées; intentions relatives au
courant artistique dénommé Modernisme, et le
thème de l´exil volontaire comme fondement d´un art cosmopolite. Tout cela fait de
cette lettre, une correspondance littéraire.
Mots-clefs: José
Martí, José Joaquín Palma, Lettre littéraire, position esthétique, exil.
En
1878, le poète cubain, patriote, révolutionnaire et précurseur du modernisme, José Martí, écrit en exil plus
précisément, au Guatemala, un compte-rendu de ce qui pourrait être l´essentiel de la
poétique de son compatriote José Joaquín Palma, intitulé Carta a José Joaquín
Palma (Martí, 2004: p. 141)1. Il s´agit
là, d´une des lettres littéraires écrites par Martí en exil et dont la manifestation
artistique, littéraire ou esthétique est non seulement étroitement liée à la
poétique de Palma, sinon à l´esthétique moderniste.
José
Martí (1853-1895) fut un pro-indépendantiste, anti-américain (Amérique du nord) et
figure emblématique de l´histoire et des Lettres cubaines. Ses réflexions parfois de
type philosophique, social et voire même, politique, ont éclairé la vie républicaine
de Cuba et ont projeté les fondements de la liberté encouragés pendant la Guerre
d´Indépendance de 1895.
Au nom
de l´universel artistique, Martí engage plusieurs voyages en Espagne, aux États Unis
d´Amérique, au Mexique, au Puerto Rico, en République Dominicaine et au Guatemala. Le 1er
mars 1877, il part au Mexique et le 26 du même mois et de la même année, au Guatemala
où s´exerce comme professeur à l´Université et à l´Académie des Jeunes Filles de l´Amérique Centrale (Academia
de Niñas de Centro América), et en même temps, comme collaborateur de la Revue de l´Université.
C´est
au Guatemala où il connut son compatriote et poète José Joaquín Palma (1884-1911),
avec qui, il n´hésite pas à lier amitié pour ses convictions artistiques issues du
romantisme et pour son grand sens de l´esthétique moderniste, et surtout pour avoir
nourri partout et en tout temps, voire même hors de sa patrie, la tradition littéraire
de sa langue et le cosmopolitisme rénovateur des lettres européennes. Martí exprime
tous ces sentiments patriotiques, universels, linguistiques et esthétiques dans une
lettre qu´il adresse à Palma après avoir lu l´un des livres de poésie de ce dernier2.
Nous
ferons de ce texte, une analyse basée sur le fond y la forme a fin de mettre en relief
les différents sens; puisque la conception esthétique de l´art poétique en
particulier, exprimée chez Palma est reçue avec joie par Martí, depuis une perspective
moderniste, au moment où les connaissent l´exil. Objet de notre étude, cette lettre
comme texte, sera aussi abordé sous le titre suivant: José Martí et José Joaquín Palma: une même
aspiration esthétique en el exil, cela moyennant des démarches explicative et
interprétative.
Martí
et Palma sont en clair, deux intellectuels cubains de renom qui, dès le début de leur
lutte pour la souveraineté nationale, ont manifesté le besoin de chercher et de jouir
d´une liberté hors de la terre qui les a vus naître; c´est ainsi qu´ils se
retrouvèrent dans plusieurs pays à travers le monde.
Le
thème de l´exil, au delà des motifs réels, se justifie par une raison de type
philosophique à travers l´interrogation suivante: pour
quoi l´exil? A cette question, Martí a toujours trouvé une réponse d´ordre gnostique, c´est-à dire, être l´ homme d´un temps guidé par la volonté
divine vers un monde ouvert, qu´il faut pénétrer jusqu´au fond, être l´homme
d´un espace plus dilaté, un espace large et vaste y plus riche où exercer sa liberté.
Pensant
l´exil comme un engagement personnel envers son pays d´origine, Martí ne s´est jamais
éloigné de la situation de Cuba, de son
bien-être, non plus de la cubanitude. C´est
pour cela qu´il a continué de alterner ce
qui ya de national avec l´universel. Il s´agissait l´engagement d´un intellectuel
nostalgique, un chauvin qui aussitôt a mis sa plume au service de l´Etat cubain. C´est
dans ce même ordre d´idées qu´il a toujours salué l´entreprise socio-intellectuelle
de son compatriote Palma.
Le
sacrifice de Martí pour la situation de son pays, en tant que acte de militantisme en
faveur de la dignité de l´être humain et surtout, en faveur de Cuba, et contre les
injustices sociopolitiques, les dictatures, les exploitations de l´homme par l´homme a
été l´objet principal de certains de ses discours (surtout ses discours de New York),
à ce sujet, un passage pertinent: << qui vit dans l´infamie ou cohabite
pacifiquement avec elle, est un infâme [
] Assister passivement à un crime c´est
le commettre (Martí, 2004: p. 164)3.
En
d´autre termes, l´exil est pour Martí la conséquence d´une désillusion et le désir
personnel d´apporter à son pays, un nouveau climat et, d´être à la fois la voix du
peuple cubain depuis l´exil: << l´image de la patrie est toujours à côté de
nous, assise à notre bureau de travail, à notre table à manger, sur notre coussin
>> (Ibid., p. 157)4.
Dans
la deuxième moitié du XXe siècle, commence en Amérique Latine, la conquête d´une
expression littéraire dans le cadre de l´affirmation de l´identité culturelle. Pendant
cette époque, certains écrivains manifestent le besoin d´un renouveau et d´une
libération par rapport au passé du sous-continent marqué par la domination étrangère
à tous les niveaux de la vie.
Cette
situation va déterminer l´attitude d´un groupe d´intellectuels latino-américains sur
les plans sociopolitique et littéraire, ce comportement, reçoit le nom de Modernisme.
En
Somme, le Modernisme est l´attitude des écrivains qui, décident de rejeter
complètement la culture hispanique pour se tourner vers la française, en particulier,
vers les idéaux littéraires de la France, tout en visant un renouvellement artistique en
Amérique hispanique.
Le
modernisme comme tendance serait alors, la désintégration de la << [
]
nouvelle poésie française sous les dénominations de symbolisme et de Parnasse >>
(Onís, 1974: p. 9)5, qui, en d´autres termes,
est un comportement intellectuel quant au traitement de la langue; une tendance, un
courant littéraire basé sur le goût pour la littérature, le plaisir esthétique et la
diversité. Il est aussi un style fondé sur les créations, les rythmes, et caractérisé
par les correspondances entre la vie intime du poète et le monde des objets, la liberté
créatrice; l´intimité individuelle, l´opposition tristesse-nostalgie et joie,
l´évasion, l´extravagance, le beau, le vulgaire, l´élégance, la couleur, le culte de
la forme, la recherche de la finesse, l´amour et le nouveau et la musicalité; la forcé
de la suggestion, le cosmopolitisme et la préférence pour le vers libre, la prose
poétique, Pour José María Valverde,
Le modernisme
dans sa dimension la plus superficielle, avait assez de décoration exotique, anciennetés
classicistes de faunes et de nymphes [
], décors médiévaux et des fantaisies
morbides dans une ambiance dandy-alcool de nuit
noire, dissipation morale, soif de beauté pure-mais le plus décisif fut ce qu´il a
réussi à introduire un langage plus riche et plus raffiné. Dans sa forme poétique, il
a donné une nouvelle vie au mètre, et a ajouté d´autres dimensions imaginaires aux
métaphores et aux thèmes. Le style moderniste est aussi, nuancé, surprenant, par
exemple, dans les couleurs, on n´utilisait pas les éléments quotidiens sinon une
palette très détaillée [
]-tout cela avec une nouvelle prétention de
perfection artistique (Valverde, 1981: p. 42)6.
Dans
la lettre qu´il adresse à Palma, Martí souligne quelques idées artistiques surtout
littéraires, lesquelles selon lui, structurent l´essentiel de l´esthétique moderniste.
D´entrée, il insiste sur le caractère universel du poète, la poésie, la poéticité
du texte poétique et sur les objectifs du poète et en particulier, ceux de Palma:
Les pauvres
pèlerins aiment écouter tout près d´eux au cours de la longue journée, la rumeur de
l´arbre lointain, la chanson même du mal, bruit du fleuve de la patrie. ¡Il y existe
toujours les vers, fils du souvenir, créateur de l´espoir! ¡Il y a toujours les poètes, qui au milieu de tant de réalité humaine annoncent et promettent la
réalité divine à venir! Le deuil de la patrie nous emporte lion: [
], Mais puisque la poésie
presse tes lèvres avec les miels du vers, tu chantes, mon ami, la mer turbulente,
semblable à l´âme; l´éclair que fend nos palmes; les braves poitrines remplissent avec
leur sang nos rivières. Quand ils te blessent, ¡chantes! Chantes qu´ils t´appellent
vagabond, que cette errance ne soit pas une paresses, sinon un mépris. Chantes toujours,
et quand tu mourras, probablement tu continueras à chanter loin d´ici, laisses ta lyre,
et dis comme Socrate a dit à ses disciples dans la
tragédie de Giacometti: << Suona, e l´anima canta >> (Martí, Op. cit.,
p. 231).
Pour
Martí, un grand poète est celui-là qui remplit toutes ces conditions partout où il se
trouve, et Palma est sans doute, l´un de ceux-là.
Toi tu es né
pour cela [
]. Travailles [
] mais quand tu dépose la plume, prends la lyre. Ne
vois-tu pas combien quelques uns de tes vers
soulèvent autant de sympathies? Combien d´yeux de femmes te regardent? Regards de femme,
excellente récompense! C´est que le poète porte dans son éminente âme l´essence de
l´âme universelle. Toi tu es poète au Cuba, tu l´aurais été partout. Les choses infinies changent avec le temps: les
grandeurs en sont quelques unes et constantes (Ib.).
Le
pronom personnel nominal << Tu >> insiste sur cette révélation faite par
Martí, surtout quant aux qualités artistiques de Palma, son inclinaison pour le
cosmopolitisme et l´adaptation aux nouvelles tendances esthétiques.
Il
s´agit d´une reconnaissance à l´adéquation de la porté de l´esthétique d´un
mouvement de plus en plus vaste géographiquement et artistiquement, voire même
intellectuellement, à l´intérieur duquel, depuis les premiers adhérents jusqu´à
Palma, tous se sont caractérisés par leur talent verbal qui continue de se dévoiler:
<< Toi tu es poète cubain, tu l´aurais été partout >>. À côté de du
cosmopolitisme, il y a les idées d´innovations formelles, d´intériorisation du texte
poétique derrière laquelle se cache la
figure du Je poétique ou du Je chanteur et immortel: << Chantes toujours,
et quand tu mourras, tu continueras probablement à chanter loin d´ici, laisses ta lyre
à tes enfants >> (Loc. cit., en Ib.).
La
poétique de Palma est similaire à celle des modernistes, et elle est liée au style
rénovateur et cosmopolite. C´est un abyme de langage, la quête d´un idéal artistique,
une musicalité suggérée textuellement dans l´évocation de personnages artistiques
très célèbres et des dieux mythologiques, symboles de l´art:
Toi Palma, tu
aurais été aède en Grèce, Scalde en Écosse, toréador en Espagne, rimeur d´amour en
Italie. [
] Toi tu es de ceux qui lisent dans les étoiles, de ceux qui espionnent
des amours à l´intérieur des fleurs, de ceux qui brodent des rêves dans les nuages.
Vous êtes venus ici sur la terre quelques fois chaque jour, et le reste oh; mon ami! Vous
vous promenez là-haut en compagnie de ce qui flâne. [
] Toi tu as plus de l´azur
de Rafael que le noir de Goya. Ton monde ce sont les vagues de la mer, bleues,
murmurantes, claires, vastes. Tes femmes sont naïades douces, tes hommes, souvenirs
d´antan (Ib.).
Métaphores
métonymies, synecdoques et périphrases sont autant de figures employées par Martí pour
faire allusion à Palma comme s´il était: << [
] le lien que rend plus fort
l´idée américaine à l´intérieur de l´universelle communion artistique >>
(Darío: 1974 : p. 7)7, sans barrière
géographique Azur, qui symboliserait, dans le cadre artistique, l´idéal, la
perfection, l´infini et le monde spirituel.
L´une
des caractéristiques pertinentes de la poésie de Palma est bien sa prédisposition parmi
les poètes modernes, aux couleurs, surtout au blanc, bleu, gris, vert et au violet,
couleurs symboliques qui traduisent sa grande plasticité; et aussi aux saisons qui
dévoilent le cycle de l´activité poétique:
Tu as dans tes
vers un emboîtement des épées de nos ancêtres, les arabesques vives et colorées,
petites fleurs de cailloux, subtiles et blondes avec du marbre de la poterie et des
alcazars. Tu es paresseux comme un arabe, bon
comme un chrétien, galant comme un batailleur du Moyen Âge. [
] Dans un jardin, tes
vers seraient violets. Dans un bois, mères-forêt. Ce ne sont pas des paragraphes qui se
succèdent: ce sont des ondes de fleurs. Tu es honnête, tu crois à la vie future: tu as
chez toi un chur d´anges; tu voles
chaque été pour leur envoyer la provision de chaque hivers. Toi tu es né avec la
colère au dos, l´amour au cur, et les vers au bout de tes lèvres (Op. cit.,
pp. 232-234).
Le
symbolisme de la couleur évoque les couleurs qui prédominent dans sa patrie et celles du
monde entier, tandis que les saisons, la vie intellectuelle du poète aussi bien dans sa
patrie comme hors de celle-ci. À côté de
cela, l´exil se trouve justifié dans l´expression symbolique: un nid
d´aigles:
Toi tu as un
grand mérite. Né au Cuba, tu es poète cubain. C´est notre terre, toi tu le sais bien, un nid d´aigles; et comme il
n´y a pas d´air là-bas pour les aigles; comme tout près des échafauds n´habitent que
les corbeaux, nous dirigeons à peine nés, le vol impatient vers les rochers de
Heidelberg, en direction des frises du Parthénon, la maison de Pline, la haute Sorbonne, [
] et vers la Salamanque
morte. Affamés de culture, nous la prenons où nous la trouvons brillante. Comme on nous
censure le nôtre, nous nous imprégnons dans ce qui est à autrui. Ainsi nous les
cubains, nous nous sommes transformés, à cause de notre éducation vicieuse, en grec,
romain, espagnol, français, et en allemand (Ibid.,
p. 233).
C´est
la migration et son corollaire d´exil qui sont en jeu dans ce argument. Il s´agit d´une
migration nécessaire pour des raisons culturelles, en particulier, pour des motifs de
consolidation de l´art universel et cosmopolite.
L´image
<< un nid d´ aigles >> est le symbole du grand artiste (poète) en quête de
grands horizons en tant qu´espaces inédits et aptes au déroulement de son activité
créatrice. En plus, ces séquences symboliques, expriment le besoin que sent l´artiste
à entreprendre ce voyage culturel et interplanétaire << Affamés de culture, nous
la prenons où nous la trouvons brillante [
] >>, comme une façon de dépasser
le national pour atteindre l´universel
artistique.
L´exil
en tant que désir culturel et esthétique chez Martí, affirme et renforce à la fois un
art poétique. Affirmation et consolidation entendues comme maturité de cet art, se
doivent à l´exil de l´artiste, à l´influence culturel des classiques et aussi, à
l´inspiration d´ordre mythologique obtenue à l´étranger:
Dormir sur
Musset; s´attacher aux âmes de Victor Hugo; se blesser avec le clic de Bécquer; se
jeter sur les sommets de Manfred ; s´embrasser aux nymphes du Danube, être soi-même et
vouloir être autrui; mépriser le soleil de la patrie, y se chauffer au vieux soleil de
d´Europe; échanger les palmes par les frênes, les iris du Cacique par le coquelicot du
Darde, vaut-il autant, oh mon ami! (Ib.).
En
définitive, la lettre de José Martí, plus qu´une simple correspondance adressée à
Palma, est aussi un résumé de ses intentions artistiques qui figurent comme principaux
axes de l´esthétique moderniste à savoir, le cosmopolitisme qui vient s´ajouter à la
musicalité souveraine, au plaisir esthétique, à la plasticité et au procédés
rythmiques.
Une
révélation de l´exil comme voyage culturel et condition sin qua non de la maturité de l´art (selon
Martí). Le cosmopolitisme est aussi en art, conséquence d´un exil volontaire de
l´artiste, conscient du temps de l´art universel.
Notes:
1.V. Carta a José Joaquín Palma de
José Martí en Lazo, Raimundo. Sus Mejores páginas,
México, PORRÚA, 2004. Originalement, la
lettre a été écrite en 1878 et publiée plus tard, en 1882.
2.Cfr. Palma, José Joaquín. Poesía, Tegucigalpa, s.e., 1982.
3.Martí, José. Discurso
pronunciado en Nueva York New York, 19 de diciembre de 1889, en Lazo, Raimundo. Op. cit.,
p. 164.
4.Martí, José. Discurso
pronunciado en Nueva York New York, octubre de 1887.
5.V. Yahni, Roberto. Prosa modernista
hispanoamericana, Madrid, Alianza Ed., 1974, p. 4.
6.V. Valverde, José María. Movimientos literarios, Barcelona, Salvat eds.,
1981, p. 42. En el mismo libro se podrán consultar acerca de las demás corrientes
literarias.
7.V. Yahni, Roberto. Op. cit.,
p. 7.
Bibliographie:
MARTÍ,
(José) << Carta a José Joaquín Palma >>.en Raimundo Loza, Sus mejores páginas. México: Ed. PORÚA, núm.
141, 2004.
________.
<<
Discurso pronunciado en Stek Hall >>. Nueva
York: el día 24 de enero de 1880.
________.
<<
Discurso pronunciado en Nueva York >>. Nueva
York: noviembre de 1889.
________.
<<
Discurso pronunciado en Nueva York >>. Nueva
York: octubre de 1887.
PALMA, José
Joaquín. Poesías, Tegucigalpa: s.e, 1982.
VALVERDE,
(José) María. Movimientos
literarios.
Barcelona: Salvat eds., 1981, p.42.
YAHNI,
(Roberto). Prosa modernista hispanoamericana.
Madrid: Alianza Ed., 1974.