Sincronía Summer 2009


“Carta à José Joaquín Palma” ou la position esthétique de José Martí en exil

 

Brahiman Saganogo

Centro de Investigaciones Filológicas

Universidad de Guadalajara

 


 

 

Résumé: Notre travail prétend être l´analyse d´une des lettres littéraires de l´écrivain cubain José Martí, adressée à son compatriote José Joaquín Palma en exil. À travers un déchiffrement un peu subjectif, de ladite lettre, nous y découvrons et les intentions esthétiques de Martí énonciateur, qui y sont exprimées; intentions relatives au courant artistique dénommé Modernisme, et le thème de l´exil volontaire comme fondement d´un art cosmopolite. Tout cela fait de cette lettre, une  correspondance littéraire.

Mots-clefs: José Martí, José Joaquín Palma, Lettre littéraire, position esthétique, exil.

 

En 1878, le poète cubain, patriote, révolutionnaire et précurseur du modernisme, José Martí, écrit en exil plus précisément, au Guatemala, un compte-rendu de ce qui pourrait être l´essentiel de la poétique de son compatriote José Joaquín Palma, intitulé “Carta a José Joaquín Palma” (Martí, 2004: p. 141)1. Il s´agit là, d´une des lettres littéraires écrites par Martí en exil et dont la manifestation artistique, littéraire ou esthétique est non seulement étroitement liée à la poétique de Palma, sinon à l´esthétique moderniste.

José Martí (1853-1895) fut un pro-indépendantiste, anti-américain (Amérique du nord) et figure emblématique de l´histoire et des Lettres cubaines. Ses réflexions parfois de type philosophique, social et voire même, politique, ont éclairé la vie républicaine de Cuba et ont projeté les fondements de la liberté encouragés pendant la Guerre d´Indépendance de 1895.

Au nom de l´universel artistique, Martí engage plusieurs voyages en Espagne, aux États Unis d´Amérique, au Mexique, au Puerto Rico, en République Dominicaine et au Guatemala. Le 1er mars 1877, il part au Mexique et le 26 du même mois et de la même année, au Guatemala où s´exerce comme professeur à l´Université et à l´Académie des Jeunes Filles de l´Amérique Centrale (Academia de Niñas de Centro América), et en même temps, comme collaborateur de la Revue de l´Université.

C´est au Guatemala où il connut son compatriote et poète José Joaquín Palma (1884-1911), avec qui, il n´hésite pas à lier amitié pour ses convictions artistiques issues du romantisme et pour son grand sens de l´esthétique moderniste, et surtout pour avoir nourri partout et en tout temps, voire même hors de sa patrie, la tradition littéraire de sa langue et le cosmopolitisme rénovateur des lettres européennes. Martí exprime tous ces sentiments patriotiques, universels, linguistiques et esthétiques dans une lettre qu´il adresse à Palma après avoir lu l´un des livres de poésie de ce dernier2.

Nous ferons de ce texte, une analyse basée sur le fond y la forme a fin de mettre en relief les différents sens; puisque la conception esthétique de l´art poétique en particulier, exprimée chez Palma est reçue avec joie par Martí, depuis une perspective moderniste, au moment où les connaissent l´exil. Objet de notre étude, cette lettre comme texte, sera aussi abordé sous le titre suivant: José Martí et José Joaquín Palma: une même aspiration esthétique en el exil, cela moyennant des démarches explicative et interprétative.

Martí et Palma sont en clair, deux intellectuels cubains de renom qui, dès le début de leur lutte pour la souveraineté nationale, ont manifesté le besoin de chercher et de jouir d´une liberté hors de la terre qui les a vus naître; c´est ainsi qu´ils se retrouvèrent dans plusieurs pays à travers le monde.

Le thème de l´exil, au delà des motifs réels, se justifie par une raison de type philosophique à travers l´interrogation suivante: pour quoi l´exil? A cette question, Martí a toujours trouvé une réponse  d´ordre gnostique, c´est-à dire, être l´ homme d´un temps guidé par la volonté divine vers un monde ouvert, qu´il faut pénétrer jusqu´au fond, être l´homme d´un espace plus dilaté, un espace large et vaste y plus riche où exercer sa liberté.

Pensant l´exil comme un engagement personnel envers son pays d´origine, Martí ne s´est jamais éloigné de la situation de  Cuba, de son bien-être, non plus de la cubanitude. C´est pour cela  qu´il a continué de alterner ce qui ya de national avec l´universel. Il s´agissait l´engagement d´un intellectuel nostalgique, un chauvin qui aussitôt a mis sa plume au service de l´Etat cubain. C´est dans ce même ordre d´idées qu´il a toujours salué l´entreprise socio-intellectuelle de son compatriote Palma.

Le sacrifice de Martí pour la situation de son pays, en tant que acte de militantisme en faveur de la dignité de l´être humain et surtout, en faveur de Cuba, et contre les injustices sociopolitiques, les dictatures, les exploitations de l´homme par l´homme a été l´objet principal de certains de ses discours (surtout ses discours de New York), à ce sujet, un passage pertinent: << qui vit dans l´infamie ou cohabite pacifiquement avec elle, est un infâme […] Assister passivement à un crime c´est le commettre” (Martí, 2004: p. 164)3.

En d´autre termes, l´exil est pour Martí la conséquence d´une désillusion et le désir personnel d´apporter à son pays, un nouveau climat et, d´être à la fois la voix du peuple cubain depuis l´exil: << l´image de la patrie est toujours à côté de nous, assise à notre bureau de travail, à notre table à manger, sur notre coussin >> (Ibid., p. 157)4.

Dans la deuxième moitié du XXe siècle, commence en Amérique Latine, la conquête d´une expression littéraire dans le cadre de l´affirmation de l´identité culturelle. Pendant cette époque, certains écrivains manifestent le besoin d´un renouveau et d´une libération par rapport au passé du sous-continent marqué par la domination étrangère à tous les niveaux de la vie.

Cette situation va déterminer l´attitude d´un groupe d´intellectuels latino-américains sur les plans sociopolitique et littéraire, ce comportement, reçoit le nom de Modernisme.

En Somme, le Modernisme est l´attitude des écrivains qui, décident de rejeter complètement la culture hispanique pour se tourner vers la française, en particulier, vers les idéaux littéraires de la France, tout en visant un renouvellement artistique en Amérique hispanique.

Le modernisme comme tendance serait alors, la désintégration de la << […] nouvelle poésie française sous les dénominations de symbolisme et de Parnasse >> (Onís, 1974: p. 9)5, qui, en d´autres termes, est un comportement intellectuel quant au traitement de la langue; une tendance, un courant littéraire basé sur le goût pour la littérature, le plaisir esthétique et la diversité. Il est aussi un style fondé sur les créations, les rythmes, et caractérisé par les correspondances entre la vie intime du poète et le monde des objets, la liberté créatrice; l´intimité individuelle, l´opposition tristesse-nostalgie et joie, l´évasion, l´extravagance, le beau, le vulgaire, l´élégance, la couleur, le culte de la forme, la recherche de la finesse, l´amour et le nouveau et la musicalité; la forcé de la suggestion, le cosmopolitisme et la préférence pour le vers libre, la prose poétique, Pour José María Valverde,

 

Le modernisme dans sa dimension la plus superficielle, avait assez de décoration exotique, anciennetés classicistes de faunes et de nymphes […], décors médiévaux et des fantaisies morbides dans une ambiance dandy-alcool de nuit noire, dissipation morale, soif de beauté pure-mais le plus décisif fut ce qu´il a réussi à introduire un langage plus riche et plus raffiné. Dans sa forme poétique, il a donné une nouvelle vie au mètre, et a ajouté d´autres dimensions imaginaires aux métaphores et aux thèmes. Le style moderniste est aussi, nuancé, surprenant, par exemple, dans les couleurs, on n´utilisait pas les éléments quotidiens sinon une “palette” très détaillée […]-tout cela avec une nouvelle prétention de perfection artistique (Valverde, 1981: p. 42)6.

 

Dans la lettre qu´il adresse à Palma, Martí souligne quelques idées artistiques surtout littéraires, lesquelles selon lui, structurent l´essentiel de l´esthétique moderniste. D´entrée, il insiste sur le caractère universel du poète, la poésie, la poéticité du texte poétique et sur les objectifs du poète et en particulier, ceux de Palma:

 

Les pauvres pèlerins aiment écouter tout près d´eux au cours de la longue journée, la rumeur de l´arbre lointain, la chanson même du mal, bruit du fleuve de la patrie. ¡Il y existe toujours les vers, fils du souvenir, créateur de l´espoir! ¡Il y a  toujours les poètes, qui au milieu de tant de  réalité humaine annoncent et promettent la réalité divine à venir! Le deuil de la patrie  nous  emporte lion: […], Mais puisque la poésie presse tes lèvres avec les miels du vers, tu chantes, mon ami, la mer turbulente, semblable à l´âme; l´éclair que  fend nos  palmes; les braves poitrines remplissent avec leur sang nos rivières. Quand ils te blessent, ¡chantes! Chantes qu´ils t´appellent vagabond, que cette errance ne soit pas une paresses, sinon un mépris. Chantes toujours, et quand tu mourras, probablement tu continueras à chanter loin d´ici, laisses ta lyre, et dis comme Socrate a dit à ses disciples dans  la tragédie de Giacometti: << Suona, e l´anima canta >> (Martí, Op. cit., p. 231).

 

Pour Martí, un grand poète est celui-là qui remplit toutes ces conditions partout où il se trouve, et Palma est sans doute, l´un de ceux-là.

 

Toi tu es né pour cela […]. Travailles […] mais quand tu dépose la plume, prends la lyre. Ne vois-tu pas combien quelques  uns de tes vers soulèvent autant de sympathies? Combien d´yeux de femmes te regardent? Regards de femme, excellente récompense! C´est que le poète porte dans son éminente âme l´essence de l´âme universelle. Toi tu es poète au Cuba, tu l´aurais été partout. Les  choses infinies changent avec le temps: les grandeurs en sont quelques unes et constantes (Ib.).

 

Le pronom personnel nominal << Tu >> insiste sur cette révélation faite par Martí, surtout quant aux qualités artistiques de Palma, son inclinaison pour le cosmopolitisme et l´adaptation aux nouvelles tendances esthétiques.

Il s´agit d´une reconnaissance à l´adéquation de la porté de l´esthétique d´un mouvement de plus en plus vaste géographiquement et artistiquement, voire même intellectuellement, à l´intérieur duquel, depuis les premiers adhérents jusqu´à Palma, tous se sont caractérisés par leur talent verbal qui continue de se dévoiler: << Toi tu es poète cubain, tu l´aurais été partout >>. À côté de du cosmopolitisme, il y a les idées d´innovations formelles, d´intériorisation du texte poétique derrière  laquelle se cache la figure du Je poétique ou du Je chanteur et immortel: << Chantes toujours, et quand tu mourras, tu continueras probablement à chanter loin d´ici, laisses ta lyre à tes enfants >> (Loc. cit., en Ib.).

La poétique de Palma est similaire à celle des modernistes, et elle est liée au style rénovateur et cosmopolite. C´est un abyme de langage, la quête d´un idéal artistique, une musicalité suggérée textuellement dans l´évocation de personnages artistiques très célèbres et des dieux mythologiques, symboles de l´art:

 

Toi Palma, tu aurais été aède en Grèce, Scalde en Écosse, toréador en Espagne, rimeur d´amour en Italie. […] Toi tu es de ceux qui lisent dans les étoiles, de ceux qui espionnent des amours à l´intérieur des fleurs, de ceux qui brodent des rêves dans les nuages. Vous êtes venus ici sur la terre quelques fois chaque jour, et le reste oh; mon ami! Vous vous promenez là-haut en compagnie de ce qui flâne. […] Toi tu as plus de l´azur de Rafael que le noir de Goya. Ton monde ce sont les vagues de la mer, bleues, murmurantes, claires, vastes. Tes femmes sont naïades douces, tes hommes, souvenirs d´antan (Ib.).

 

Métaphores métonymies, synecdoques et périphrases sont autant de figures employées par Martí pour faire allusion à Palma comme s´il était: << […] le lien que rend plus fort l´idée américaine à l´intérieur de l´universelle communion artistique >> (Darío: 1974 : p. 7)7, sans barrière géographique “Azur”, qui symboliserait, dans le cadre artistique, l´idéal, la perfection, l´infini et le monde spirituel.

L´une des caractéristiques pertinentes de la poésie de Palma est bien sa prédisposition parmi les poètes modernes, aux couleurs, surtout au blanc, bleu, gris, vert et au violet, couleurs symboliques qui traduisent sa grande plasticité; et aussi aux saisons qui dévoilent le cycle de l´activité poétique:

 

Tu as dans tes vers un emboîtement des épées de nos ancêtres, les arabesques vives et colorées, petites fleurs de cailloux, subtiles et blondes avec du marbre de la poterie et des alcazars. Tu es paresseux  comme un arabe, bon comme un chrétien, galant comme un batailleur du Moyen Âge. […] Dans un jardin, tes vers seraient violets. Dans un bois, mères-forêt. Ce ne sont pas des paragraphes qui se succèdent: ce sont des ondes de fleurs. Tu es honnête, tu crois à la vie future: tu as chez  toi un chœur d´anges; tu voles chaque été pour leur envoyer la provision de chaque hivers. Toi tu es né avec la colère au dos, l´amour au cœur, et les vers au bout de tes lèvres (Op. cit., pp. 232-234).

 

Le symbolisme de la couleur évoque les couleurs qui prédominent dans sa patrie et celles du monde entier, tandis que les saisons, la vie intellectuelle du poète aussi bien dans sa patrie comme  hors de celle-ci. À côté de cela, l´exil se trouve justifié dans l´expression symbolique: “un nid d´aigles”:

 

Toi tu as un grand mérite. Né au Cuba, tu es poète cubain. C´est notre terre, toi  tu le sais bien, un nid d´aigles; et comme il n´y a pas d´air là-bas pour les aigles; comme tout près des échafauds n´habitent que les corbeaux, nous dirigeons à peine nés, le vol impatient vers les rochers de Heidelberg, en direction des frises du Parthénon, la maison de Pline, la  haute Sorbonne, […] et vers la Salamanque morte. Affamés de culture, nous la prenons où nous la trouvons brillante. Comme on nous censure le nôtre, nous nous imprégnons dans ce qui est à autrui. Ainsi nous les cubains, nous nous sommes transformés, à cause de notre éducation vicieuse, en grec, romain, espagnol, français, et en allemand (Ibid., p. 233).

 

C´est la migration et son corollaire d´exil qui sont en jeu dans ce argument. Il s´agit d´une migration nécessaire pour des raisons culturelles, en particulier, pour des motifs de consolidation de l´art universel et cosmopolite.

L´image << un nid d´ aigles >> est le symbole du grand artiste (poète) en quête de grands horizons en tant qu´espaces inédits et aptes au déroulement de son activité créatrice. En plus, ces séquences symboliques, expriment le besoin que sent l´artiste à entreprendre ce voyage culturel et interplanétaire << Affamés de culture, nous la prenons où nous la trouvons brillante […] >>, comme une façon de dépasser le  national pour atteindre l´universel artistique.

L´exil en tant que désir culturel et esthétique chez Martí, affirme et renforce à la fois un art poétique. Affirmation et consolidation entendues comme maturité de cet art, se doivent à l´exil de l´artiste, à l´influence culturel des classiques et aussi, à l´inspiration d´ordre mythologique obtenue à l´étranger:

 

Dormir sur Musset; s´attacher aux âmes de Victor Hugo; se blesser avec le clic de Bécquer; se jeter sur les sommets de Manfred ; s´embrasser aux nymphes du Danube, être soi-même et vouloir être autrui; mépriser le soleil de la patrie, y se chauffer au vieux soleil de d´Europe; échanger les palmes par les frênes, les iris du Cacique par le coquelicot du Darde, vaut-il autant, oh mon ami! (Ib.).

 

En définitive, la lettre de José Martí, plus qu´une simple correspondance adressée à Palma, est aussi un résumé de ses intentions artistiques qui figurent comme principaux axes de l´esthétique moderniste à savoir, le cosmopolitisme qui vient s´ajouter à la musicalité souveraine, au plaisir esthétique, à la plasticité et au procédés rythmiques.

Une révélation de l´exil comme voyage culturel et condition sin qua non de la maturité de l´art (selon Martí). Le cosmopolitisme est aussi en art, conséquence d´un exil volontaire de l´artiste, conscient du temps de l´art universel.

 

Notes:

1.V. “Carta a José Joaquín Palma” de José Martí en Lazo, Raimundo. Sus Mejores páginas, México, PORRÚA, 2004. Originalement, la lettre a été écrite en 1878 et publiée plus tard, en 1882.

2.Cfr. Palma, José Joaquín. Poesía, Tegucigalpa, s.e., 1982.

3.Martí, José. “Discurso pronunciado en Nueva York” New York, 19 de diciembre de 1889, en Lazo, Raimundo. Op. cit., p. 164.

4.Martí, José. “Discurso pronunciado en Nueva York” New York, octubre de 1887.

5.V. Yahni, Roberto. Prosa modernista  hispanoamericana, Madrid, Alianza Ed., 1974, p. 4.

6.V. Valverde, José María. Movimientos literarios, Barcelona, Salvat eds., 1981, p. 42. En el mismo libro se podrán consultar acerca de las demás corrientes literarias.

7.V. Yahni, Roberto. Op. cit., p. 7.

 

Bibliographie:

MARTÍ, (José) << Carta a José Joaquín Palma >>.en Raimundo Loza, Sus mejores páginas. México: Ed. PORÚA, núm. 141, 2004.

 

________. << Discurso pronunciado en Stek Hall >>. Nueva York: el día 24 de enero de 1880.

 

________. << Discurso pronunciado en Nueva York >>. Nueva York: noviembre de 1889.

 

________. << Discurso pronunciado en Nueva York >>. Nueva York: octubre de 1887.

 

PALMA, José Joaquín. Poesías, Tegucigalpa: s.e, 1982.

 

VALVERDE, (José) María. Movimientos literarios. Barcelona: Salvat eds., 1981, p.42.

 

YAHNI, (Roberto). Prosa modernista hispanoamericana. Madrid: Alianza Ed., 1974.


Sincronía Summer 2009